Conceptions et obstacles

Introduction et balises

Depuis maintenant plusieurs décennies, la didactique des sciences s’est intéressée aux conceptions des élèves au travers de divers termes : préconceptions, conceptions initiales, conceptions erronées, représentations, misconceptions (en anglais), etc. En effet, chercheurs, formateurs et enseignants s’accordent pour constater que des conceptions des élèves antérieures aux enseignements se manifestent à nouveau après enseignement. Il apparait donc que pour ces conceptions il ne suffit pas d’y opposer d’autres conceptions énoncées par l’enseignant ou un manuel. D’une manière ou d’une autre, afin de faire évoluer ces conceptions initiales, il faudra en avoir des indices afin d’en tenir compte dans les enseignements.

Derrière ce constat et l’impératif qui en découle, différentes théories du changement conceptuel existent. Certaines considèrent des « modèles mentaux » cohérents de situation en situation alors que d’autres considèrent que le savoir est « fragmenté » et qu’il n’est pas parfaitement cohérent de situation en situation. D’autres théories peuvent également relever du changement conceptuel tout en poursuivant des objectifs de recherches plus précis, comme la théorie de l’apprentissage par problématisation.

Notre propos ne serait pas complet sans évoquer les obstacles épistémologiques. Il s’agit d’un autre type de « déjà-là » de l’élève qui peut empêcher l’acquisition du savoir visé par l’enseignant. L’obstacle épistémologique est un concept issu de l’épistémologie historique de Gaston Bachelard avant de faire l’objet de recherches en didactique des sciences. Ainsi, Bachelard dit :

« Les professeurs […] n’ont pas réfléchi au fait que l’adolescent arrive dans la classe de physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s’agit alors, non pas d’acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne » (Bachelard, 1938, p. 18)[1].

Ces obstacles sont nombreux : substantialisation de la lumière et de la chaleur, l’animisme, le concept de masse pensé comme surcharge, l’éponge et la pompe, etc. Mais l’obstacle n’est pas uniquement un empêchement. En effet, dans l’épistémologie de Bachelard, toute connaissance est une connaissance rectifiée. Donc, à nouveau, il ne s’agit pas uniquement de considérer le rôle négatif de l’obstacle : il est avant tout une connaissance déjà-là qui sert de fait d’appui à des explications qui font sens pour l’élève. Et lorsque l’obstacle sera franchi, c’est certainement pour entrer dans un nouveau savoir qui est lui-même un obstacle d’un autre savoir à acquérir ultérieurement.

Le franchissement des obstacles étant donc d’une importance certaine, des chercheurs ont travaillé à opérationnaliser l’idée d’ « objectif-obstacle », comme la constitution d’un curriculum ouvert organisé sur ces obstacles à franchir. La figure suivante évoque par quoi l’idée de gaz (dont sa matérialité et ses changements) est empêchée et les conditions de possibilité pour franchir l’obstacle. Nous voyons que le travail autour d’un obstacle ouvre à des savoirs scientifiques apparemment très divers :

Figure : caractérisation de l’obstacle par Astolfi et Peterfalvi (1993, p. 112).

Entrées faciles

Le magazine n°4 de Sciences en Cadence vulgarise le travail des conceptions des élèves en classe de sciences en primaire. Ces conceptions portent sur un modèle explicatif de l’articulation.

Le magazine n°13 de Sciences en Cadence montre le travail qui peut être fait pour accéder aux « déjà-là » conceptuels des élèves, en particulier dans le cadre d’un apprentissage par problématisation. Les savoirs visés sont ceux de la nutrition humaine. Le texte fournit quelques références complémentaires.

Un article des Cahiers pédagogiques présente brièvement un enseignement en fin de maternelles (5-6 ans) autour des ombres dans le cadre théorique du « modèle précurseur ».

L’ouvrage Sciences en classe (Daro, Graftiau, Stouvenakers et Hindryckx, 2011)[2] n’évoque pas directement le changement conceptuel mais il montre de belles tentatives de prendre des indices d’un « déjà-là » des élèves et de tenter de les faire évoluer par des expériences. Les savoirs visés sont ceux relatifs à la chaleur et à l’équilibre en physique.

Le chapitre de Smyrnaiou (2015)[3] porte sur la construction et l’usage d’un modèle virtuel dans la tentative de changement conceptuel (l’auteur parle de « représentations ») des élèves en physique. Il peut donner quelques éléments pour problématiser des tentatives similaires.

Écrits scientifiques

De très nombreux articles ont été publiés au sujet des conceptions des élèves et de leur évolution. Une simple recherche dans n’importe quel moteur de recherche académique donnera des résultats sur à peu près n’importe quel domaine scientifique. Nous allons donc ici nous limiter à quelques entrées clés facilitant le travail de recherche.

Concernant les articles scientifiques, l’article de Posner et al. (1982) est un des articles fondateurs des théories du changement conceptuel. L’article est en langue anglaise. Deux numéros de la revue Aster, n°24 et n°25, portent sur les obstacles épistémologiques en sciences. Ils suivent un article important de Astolfi et Peterfalvi (1993). Astolfi et al. (2008) ont également consacré un chapitre au sujet des représentations/conceptions en didactique des sciences ; l’ouvrage est également disponible en format papier.

L’ouvrage de Allen (2010/2019)[4], plusieurs fois mis à jour, est un répertoire de plus de 100 conceptions communes d’élèves de primaire au sujet de divers domaines scientifiques.

L’ouvrage de Frède (2021)[5] est à la fois un ouvrage sur le changement conceptuel des savoirs en astronomie, mais aussi une bonne introduction aux théories du changement conceptuel. Il pourra être complété par plusieurs articles : Frède, 2006 ; Frède et Venturini, 2006 .

Les travaux du cadre de l’apprentissage par problématisation relèvent d’un genre particulier de changement conceptuel. Ils accordent une importance particulière à la construction du problème afin de construire avec les élèves non pas uniquement des conceptions plus robustes, mais surtout des savoirs scientifiques véritablement en rupture avec la pensée commune. L’ouvrage de Orange (2012)[6] est une bonne introduction pour ce qui est de l’enseignement des sciences.

En physique, l’ouvrage de Lautrey et al. (2008)[7] peut être une première entrée dans la mesure où il répertorie les conceptions des élèves dans de nombreux domaines : chauffage, isolation, mécanique, énergie, force, etc. Il peut être complété par l’ouvrage de Johsua et Dupin (1993)[8] qui a un long chapitre sur le sujet des conceptions des élèves (le propos n’est alors pas restreint à la physique).

Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires

S’intéresser aux conceptions/obstacles en sciences, c’est par exemple :

  • dégager les conceptions initiales des élèves du maternel/primaire/secondaire concernant des concepts scientifiques spécifiques (par exemple, l’air, l’électricité, la gravité, le cycle de l’eau) et proposer des pistes pour dépasser les obstacles qui y sont liés ;
  • étudier la façon dont les conceptions/obstacles influencent la compréhension des concepts scientifiques ;
  • s’intéresser à l’évolution des conceptions des élèves en sciences au cours de leur parcours scolaire ;
  • interroger l’utilisation de simulations et de modèles numériques et leur influence sur les conceptions scientifiques des élèves ;
  • questionner l’usage de ressources numériques pour surmonter les obstacles d’apprentissage en sciences ;
  • questionner l’usage des évaluations diagnostiques pour identifier les conceptions erronées des élèves ;
  • identifier les concepts scientifiques amenant le plus d’obstacles pour des élèves du primaire/maternel/secondaire et essayer de comprendre pourquoi ;
  • rechercher les principaux obstacles cognitifs que les élèves rencontrent lorsqu’ils apprennent des concepts abstraits (ex : l’énergie) ;
  • identifier les stratégies d’évaluation formative qui peuvent aider à identifier et à surmonter les obstacles d’apprentissage ;
  • se pencher sur le rôle de différenciation pédagogique pour surmonter les obstacles d’apprentissage des élèves ;
  • etc.

[1] Bachelard, G. (1938). La formation de l’esprit scientifique. Vrin. http://classiques.uqac.ca/classiques/bachelard_gaston/formation_esprit_scientifique/formation_esprit_scientifique.html

[2] Daro, S. Graftiau, M.-C., Stouvenakers, N. et Hindryckx, M.-N. (2011). Sciences en classe. Labor Education.

[3] Smyrnaiou, Z. (2015). La construction et l’usage des modèles virtuels pour aider à l’évolution des représentations des élèves. Dans T. Evrard et B. Amory (dir.), Les modèles : des incontournables pour enseigner les sciences, 203-210. De Boeck

[4] Allen, M. (2010/2019). Misconceptions in primary science. Open University Press.

[5] Frède, V. (2021). L’acquisition et le développement des connaissances contre-intruitives en sciences. Comment l’enfant se représente-t-il le ciel et la Terre ? Cépaduès.

[6] Orange, C. (2012). Enseigner les sciences : problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe. De Boeck.

[7] Lautrey, J., Rémi-Giraud, S., Sander, E. et Tiberghien, A. (2008). Les connaissances naïves. Armand Colin.

[8] Johsua, S. et Dupin, J.-J. (1993). Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques. Presses Universitaires de France.