Électricité et électrocinétique

Introduction et balises

Les phénomènes électriques fascinent et sont au cœur de notre société, et pourtant, ils restent difficiles à pleinement comprendre. La littérature montre des difficultés à l’apprentissage des savoirs sur l’électricité au sens large.

Le savoir sur l’électricité a un caractère phénoménotechnique certain puisqu’il est un savoir constitué sur une nouvelle nature : « nature instrumentée et pensée humainement dans une histoire de l’homme. » (Bachelard[1], 1951/1965, p. 101). Il est lié à la technique dans la nature (p. 125) qui donne une « finalité à des forces dispersées » (p. 5).

Au départ, le terme, electricus, serait apparu avec William Gilbert (Cariou[2], 2019, p. 278) au sujet d’une distinction d’attraction, entre la magnétique et l’électrique. Newton aurait fait une distinction analogue en assimilant l’attraction/répulsion électrique à d’autres phénomènes (lumière, vibration, sensations, mouvements musculaires) via un « esprit universel » (p. 383-384). D’après Benseghir et Closset (1993) ces premières connaissances construites d’électrostatique vont faire obstacle à l’élaboration du savoir en électrocinétique : les humains vont se focaliser sur les attractions/répulsions, expliquées en termes de fluides électriques positifs ou négatifs. Ce n’est qu’avec la « chaine galvanique », circuit électrique fermé, que le caractère dynamique du phénomène électrique est introduit (au contraire des pôles qui induisent un raisonnement statique).

Notons que l’expérience de Volta n’est pas spontanée ni gratuite, elle relève d’une intuition portant sur une controverse (Bensaude-Vincent et Stengers[3], 1993, p. 143-144) :

« Volta est un physicien, formé dans la tradition laplacienne, incapable de disséquer une grenouille. Son intention étant de prouver qu’il n’existe qu’une seule électricité, celle des physiciens, il remplace le muscle et le nerf de la grenouille de Galvani, branchés entre fer et cuivre, par des bouts de carton et des chiffons mouillés. Cet analogon du montage de Galvani se présente comme une colonne où sont empilés des disques de cuivre alternant avec des disques d’étain et, plus tard, des disques d’argent avec des disques de zinc. Chaque paire est séparée par des petits morceaux de carton ou de cuir imbibés d’eau ou d’un autre liquide. »

Alors que Galvani avait largement étudié les nerfs et les muscles avant d’envisager l’influence de l’électricité sur les nerfs. De même, l’expérience du cerf-volant de Franklin n’a rien de l’expérience spontanée, elle relève d’une vérification à faire sur une hypothèse publiée (Cariou[2], 2019, p. 486).

Au niveau didactique, la pleine compréhension du circuit électrique demanderait le dépassement du raisonnement séquentiel. Il s’agirait par exemple de rompre avec les explications du type « le courant sort de la pile par la borne positive, passe dans un premier récepteur, puis un second, puis retourne enfin dans la pile par la borne négative », qui laissent penser à un enchainement de causes. Autre exemple d’explication à dépasser : « U = RI, la résistance augmente donc la tension U augmente ». Or, les phénomènes considérés sont quasi-simultanés puisque les variables sont en permanence en relation. Un tel raisonnement peut d’ailleurs être retrouvé dans d’autres domaines (par exemple : « La densité du gaz diminue, donc sa pression diminue ». Des publications présentent ce raisonnement (disponibles ci-dessous).

D’autres difficultés peuvent être mises en évidence, comme celles construites avec l’analogie du fluide (analogie hydraulique). Dans cette analogie, l’idée que la pile ou la batterie puisse être « chargée » laisse penser à certains élèves que cette pile ou batterie va « consommer » le fluide (Robardet et Guillaud[4], 1997, p. 173-174 ; Dupin et Johsua, 1986), ce qui fait que le retour à l’autre borne n’est donc pas souvent envisagé.

Figure : Exemples de représentations de circuits électriques indiquant une conception « consommation ». Tirée de Shipstone (1985, p. 35).

De nombreuses autres difficultés ont été documentées (Robardet et Guillaud[4], 1997 ; Dupin et Johsua, 1986 ; McDermott et Shaffer, 1992 ; etc.). Elles persistent souvent même après enseignement d’autant que pour Robardet et Guillaud, ces difficultés ne seraient pas rencontrées par les élèves (p. 176).

  • La pile vue comme un générateur à courant constant (et non pas à tension constante). Des difficultés vont se poser lorsqu’il s’agira d’étudier des circuits « compliqués » (au sens usuel).
  • Non sans lien avec cela, l’approche privilégiée par les enseignants est une approche qui passe quasi systématiquement par la notion de courant électrique et non pas de tension électrique.
  • En lien avec l’analogie du cours d’eau, le récepteur est considéré comme un obstacle (au sens commun) au passage du courant électrique : il lui résiste, il l’empêche de passer.

Entrées faciles

L’ouvrage de Johsua et Dupin[5] (1993) contient quelques pages (171-178) dédiées à faire la synthèse des connaissances sur les obstacles à l’apprentissage de l’électrocinétique. Celle-ci n’est pas récente mais elle reste tout à fait d’actualité.

L’ouvrage de Robardet et Guillaud[4] (1997) consacre une dizaine de pages aux difficultés des élèves du secondaire et de l’enseignement supérieur en électrocinétique. Les conceptions unifilaire, à « courants antagonistes », à « épuisement » du courant sont présentées. La difficulté avec le concept de tension, l’explication statique ainsi que le raisonnement séquentiel y sont là bien expliqués.

Le magazine Sciences en Cadence n°9 présente une démarche sur les circuits électriques en primaire ; elle inspirera sans difficulté les enseignants du secondaire inférieur. Un rappel théorique est proposé. Le magazine n°28 est destiné à la 2ème primaire. Le magazine n°29 vise la fin du primaire et le début du secondaire. Il aborde le fonctionnement de l’éolienne et par là la notion de courant alternatif.

Écrits scientifiques

Rappelons qu’une partie des difficultés présentées dans l’introduction (ci-dessus) ont été identifiées à partir de travaux dont nous dressons ici une liste :

L’article de Benseghir et Closset (1993) est une bonne entrée pour faire un point d’histoire. La seconde partie de l’étude envisage le parallèle à faire avec le développement du savoir électrostatique en classe, en fin de secondaire.

L’article de Dupin et Johsua (1994) discute de l’intérêt et des limites d’une analogie thermique pour l’enseignement de l’électricité.

Une thèse de Dequidt (2015) discute là de l’intérêt et des limites d’une analogie mécanique.

L’article de Viard (2002) discute des difficultés des élèves entre une approche scientifique et technologique d’un problème d’électrocinétique : que provoque le retrait d’une résistance en dérivation sur la résistance totale du circuit ? Il montre alors que le terme de « résistance » est trompeur pour les élèves et les étudiants de l’enseignement supérieur.

Dans deux articles de Viennot (1992 et 1993), l’auteure discute du raisonnement linéaire en physique, en particulier en électrocinétique. Plusieurs de ses ouvrages les aborde également, notamment :

  • Viennot, L. (2011). En physique pour comprendre. EDP Sciences.
  • Viennot, L. et Décamp, N. (2019). L’apprentissage de la critique. EDP Sciences.

Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires

Explorer les apprentissages en électrocinétique et électricité, c’est par exemple :

  • S’intéresser aux conceptions des élèves dans notre contexte, au rôle qu’elles jouent dans les explications spontanées ou dans les situations scolaires, et au rôle du langage pour les faire évoluer.
  • S’intéresser aux obstacles liés aux différents concepts en jeu et termes employés, comme celui de résistance, ou aux intérêts et limites des analogies (hydraulique, thermique, etc.).
  • Questionner les concepts à construire en primaire dans une approche spiralaire des apprentissages ;
  • etc.

[1] Bachelard, G. (1951/1965). L’activité rationaliste de la physique contemporaine (2é éd.). http://classiques.uqac.ca/classiques/bachelard_gaston/Activite_rationaliste_physique_contemporaine/Activite_rationaliste_physique.html

[2] Cariou, J.-Y. (2019). Histoire des démarches scientifiques. Éditions matériologiques.

[3] Bensaude-Vincent, B. et Stengers, I. (1993). Histoire de la chimie. La Découverte.

[4] Robardet, G. et Guillaud, J.-C. (1997). Éléments de didactique des sciences physiques. Presses Universitaires de France.

[5] Johsua, S. et Dupin, J.-J. (1993). Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques. Presses Universitaires de France.