Introduction et balises
Les objets et techniques font partie de notre quotidien et sont en perpétuelle évolution en lien avec les progrès de notre société et nos besoins changeants. Notre société n’a d’ailleurs jamais eu autant besoin de l’école pour former des citoyens responsables, éclairés et prêts à prendre part à son développement (Lasson, 2007[1]).
Zaïd, Bisault et Le Bourgeois (2019)[2] soulignent l’omniprésence des objets dans le quotidien de l’école primaire, leur grande diversité, mais aussi leurs potentialités multiples, qui en font des objets pour apprendre et des objets à apprendre. En découvrant et en utilisant ces divers objets techniques, en s’engageant dans des réalisations concrètes, les élèves développent des gestes techniques spécifiques, adéquats, qu’ils pourront transférer dans la vie quotidienne. En approchant les objets, les élèves sont sensibilisés aux aspects liés à la sécurité mais aussi à l’utilisation raisonnée des ressources. Ils se questionnent sur les impacts environnementaux et humains des applications techniques. Enfin, ces rencontres avec les objets sont également des supports intéressants pour développer le langage des jeunes élèves car ils seront amenés à expliciter leurs actions et leurs conséquences, à nommer les objets et leurs parties en vue d’expliciter leurs interactions, etc.
Objet technique, outil et matériaux, système technique… au cœur d’une culture technique
Les savoirs, savoir-faire et pratiques liés à l’usage d’un objet technique et intériorisés constituent la culture technique. Quand ces savoirs et pratiques sont formalisés, extériorisés, on parle de technologie.
Un objet technique est une production matérielle humaine résultant d’un façonnage de matériaux (Bonnard, 2015)[3]. Ce produit répond à un besoin, il sert à quelque chose. Un aspirateur, une lampe de poche, une agrafeuse, un pull, une poulie sont autant d’exemples d’objets que l’humain a inventés pour répondre à un besoin particulier. Ce même auteur invite à distinguer outil, matériaux et machines. Pour en savoir plus, le lecteur est invité à consulter l’ouvrage. Aujourd’hui, plusieurs auteurs mettent en avant l’idée d’étendre le champ de l’objet technique au système technique c’est-à-dire de s’intéresser à un objet dans sa complexité, dans lequel différents éléments sont en interaction dynamique (ex : un robot, une lampe de poche, une machine à café, un tableau interactif). C’est le cas de Lebeaume (2019[4]). Cette innovation en éducation technologique permettrait une approche plus fonctionnelle et permettrait aux élèves de prendre conscience de la complexité structurelle et fonctionnelle du système en découvrant les relations entre les différents éléments. Cette découverte des systèmes techniques se dirige vers des objets de plus en plus complexes au fur et à mesure de la scolarité primaire.
L’élève de primaire se penche sur des objets aux mécanismes visibles et simples pour progressivement aller vers des objets aux mécanismes plus complexes comme les leviers, la poulie, qu’il sera amené à schématiser, modéliser. Des solutions et principes techniques (articulation des éléments, positions respectives, etc.) ont été envisagés pour les différents éléments constitutifs afin d’assurer le fonctionnement global de l’objet. Il est important de permettre à l’élève d’identifier ces blocs fonctionnels car ils permettront une utilisation raisonnée de l’outil/l’objet.
Lors de l’exploration des différents outils et objets, il sera important de distinguer la fonction d’usage (globale) et la fonction technique (se rapportant au rôle des éléments constituant l’objet technique). Cette distinction va aider à mettre en œuvre l’investigation autour du fonctionnement de l’objet technique. Pour plus d’information à ce sujet, nous vous invitons à lire l’ouvrage de Cloix et Barraud (2010)[5]. Ces mêmes auteurs apportent aussi des précisions sur les démarches pouvant être convoquées pour explorer les objets : investigation et processus de réalisation.
Aux objets “mécaniques”, s’ajoutent de nouveaux liés à l’utilisation des nouvelles technologies comme l’ordinateur, le tableau interactif, la tablette. On observe ainsi un passage vers des objets techniques plus complexes avec lesquels les enfants sont en contact dès leur plus jeune âge. Le rôle de l’école est de leur donner des repères pour en comprendre l’utilité et commencer à les utiliser de manière adaptée. Même s’ils sont déjà employés par de jeunes élèves, ils le sont souvent comme outil pour des apprentissages plutôt que comme objets d’apprentissage. Des outils récents permettent d’initier les jeunes élèves à la programmation et de ce fait nous vous proposons d’explorer notre page concernant les TICE (technologies de l’information et de la communication ) et le numérique qui sera prochainement disponible.
Le développement du raisonnement : passer du geste au concept
L’exploration des objets/outils/matériaux ne s’arrête pas à la simple manipulation. Durant les démarches, l’élève est amené à questionner ces objets, à adopter un autre regard sur ceux-ci. Les objets du quotidien deviennent des objets d’investigation (Bisault, 2014)[6].
Si la manipulation permet à l’élève d’exercer son pouvoir sur les choses, de développer ses habiletés, elle lui permet aussi de constater des relations de cause à effet, de comprendre les mécanismes et ainsi de construire des images mentales liées au fonctionnement de ces objets. Cela peut amener l’élève à passer du « faire » à la « conceptualisation », du geste au concept. Même si l’action est nécessaire, l’activité intellectuelle ne doit pas être oubliée comme le soulignent de nombreux auteurs tels que Charles (2021)[7].
Les démarches proposées aux élèves doivent amener l’élève à « éprouver, expérimenter » une posture de « chercheur » au-delà de la composante « manuelle » ; « Passer du faire pour faire à faire pour apprendre/comprendre ». Un temps de familiarisation, en amont de l’investigation, invite les élèves à aller à la rencontre de ces nouveaux objets/outils par une manipulation plus libre. Cette familiarisation avec les matériaux et les objets constitue un référent commun pour les élèves, qui tend à lisser les différences de vécu entre les élèves et qui permet d’amorcer le questionnement. Elle a notamment pour objectif une manipulation avec une visée “utilitariste”. En outre, cette familiarisation n’assure pas, à elle seule, la conceptualisation. L’identification des propriétés des matériaux, des schèmes techniques d’un objet, des effets qu’il produit, etc. demandent un travail didactique à part entière.
Spécificités de la technologie et des sciences
Une tendance est d’assimiler l’étude d’objets à un moyen de déboucher sur les sciences. Or les questions traitées sont bien différentes ou le sont de façon complémentaire (cf. notre page technosciences prochainement disponible). La technologie et la physique sont très souvent liées. En effet, les objets techniques et machines sont souvent des conséquences du développement des connaissances scientifiques mais pas toujours. Les scientifiques utilisent des objets techniques (instruments) pour leurs recherches. Toutes les deux sont en lien avec la société et permettent de répondre à des demandes politiques, économiques, sociales, etc. Néanmoins ces deux disciplines se développent de façon indépendante car elles ne sont pas soumises aux mêmes finalités. Les sciences ont pour finalité de développer des concepts, de construire des modèles explicatifs sur le monde. La technologie est tournée vers l’objet et son fonctionnement en lien avec le besoin qui l’a fait naître. Les questions et contenus abordés en technologie seront donc différents des sciences mais des croisements sont possibles.
Entrées faciles
Le dossier de Caty-Leslé et Ferrerons (2007)[8] consacré à la technologie questionne la place de cette discipline en mutation à l’école et met en avant des formes diverses de pratiques autour de celle-ci de la maternelle au secondaire.
A propos de l’initiation technologique en maternelle, Ullrich et Klante (1973[9]) proposent diverses suggestions pédagogiques autour d’objets de divers thèmes : “machines”, “architecture”, “ustensiles et outils”, “organisation du travail et la société industrielle”. Dans l’introduction de l’ouvrage, les auteurs reviennent sur les fonctions éducatives de l’initiation technologique et sur les objectifs poursuivis.
L’ouvrage de Thouin (2006)[10] contient de nombreux exemples de problèmes que l’on peut proposer aux élèves de résoudre en classe. Il s’agit ici d’une approche s’inspirant des recherches récentes en didactique des sciences permettant aux élèves de faire évoluer leurs conceptions par des solutions et/ou approches possiblement différentes, leur permettant ainsi de s’initier à la véritable nature du travail scientifique. Pour l’enseignant, chaque exemple est richement accompagné de suggestions de mises en situation, de repères culturels et historiques, de suggestions d’activités de structuration et d’enrichissement, etc. Le module 21 à 26 de l’ouvrage sont consacrés à la technologie.
Dans son ouvrage, Tavernier (2019)[11] propose une mise au point des connaissances et démarches propres à la physique et à la technologie. Des exemples concrets d’activités et de démarches sont suggérées pour chaque cycle d’enseignement.
L’ouvrage de Bédart-Naji, E. (2000)[12] se propose comme un guide pour étayer les connaissances et les pratiques des enseignants en lien avec la technologie.
A propos des activités de production/réalisation, l’ouvrage “Produire en technologie à l’école et au collège”[13]apporte des contributions diverses notamment sur le plan didactique.
L’ouvrage “Découverte de la matière et de la technique”[14] de Coué et Vignes (1995) se propose comme un outil pédagogique destiné aux enseignants pour les guider dans la mise en oeuvre de démarches en sciences et technologie à l’école primaire.
Écrits scientifiques
L’article de Andreucci et Ginestié (2002) montre que les élèves du secondaire inférieur (collège, France) ont une représentation restreinte du concept d’« objet technique », souvent cantonné aux nouvelles technologies, à l’audiovisuel, à l’électroménager, etc. mais que beaucoup d’autres objets ne semblent pas être identifiés comme « techniques » (la flûte, le pull, etc.). Cet article peut aussi éclairer les pratiques en primaire.
Dans son dossier, Lebeaume (2019) propose d’éclairer les statuts et fonctions des objets et systèmes techniques dans l’enseignement obligatoire. Il revient sur l’évolution des contenus des programmes en éducation technologique depuis les années soixante et décrit le processus de scolarisation dont ces contenus font l’objet.
Dans sa thèse, Lasson (2007) étudie les ruptures et continuités dans le choix des objets et dans les dispositifs d’enseignement en lien avec la familiarisation pratique aux objets techniques au cours de la scolarité, de la maternelle au collège.
Chatoney (2005) présente une étude visant à montrer l’intérêt d’une approche croisant les niveaux fonctionnel, structurel et technique d’un objet. Cette recherche a été menée chez des élèves de 6-7 ans autour d’un projet de réalisation d’un moulinet de foire.
Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires
S’intéresser aux apprentissages liés à l’études des objets à l’école primaire, c’est par exemple :
- questionner la place de la manipulation dans une démarche d’exploration des objets ;
- s’interroger sur les objets pertinents à explorer pour dégager les premiers apprentissages en technologie ;
- s’interroger sur le rôle du langage dans la construction des apprentissages liés aux objets techniques ;
- questionner les pratiques autour de l’exploration de ces objets permettant de développer une posture de chercheur chez les élèves ;
- s’interroger sur l’intérêt de travailler en pluridisciplinarité autour de ces objets techniques ;
- etc.
[1] Lasson, C. (2007). Ruptures et continuités dans la familiarisation pratique en technologie de l’école pré-élémentaire au collège [thèse de doctorat, Ecole normale supérieure de Chachan]. URL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00133502/
[2] Zaid, A., Bisault, J., & Le Bourgeois, R. (2019). Présentation du numéro. Recherches en didactiques, (1), 5-10.
[3] Bonnard, J. (2016). Découvrir le monde des objets: former des chercheurs dès l’école maternelle. Chronique sociale, p. 53-54.
[4] Lebeaume, J. (2019). Objets puis systèmes techniques au programme: éclairages pour une discussion de leurs statuts et de leurs fonctions dans l’enseignement. Recherches en didactiques, (1), 11-24.
[5] Cloix, C. et Barraud F. (2010). Les outils de l’écolier au quotidien ; découverte du monde des objets. Cycles 1 et 2. Scéren.
[6] Bisault, J. (2014). Moments d’éducation scientifique à l’école maternelle et rencontre avec des objets du quotidien. Skholê, (2), 9-18.
[7] Charles, F. (2021). Graines de scientifiques à la maternelle. Explorer le monde du vivant, des objets et de la matière. EDP Sciences.
[8] Caty-Leslé, R. et Ferrerons, M. (2007). La technologie. Cahiers pédagogiques, n°455, pp.9-64.
[9] Ullrich, H., Klante, D., & Duch-Philippe, F. (1975). Initiation technologique de la maternelle à l’école élémentaire. OCDL.
[10] Thouin, M. (2006). Résoudre des problèmes scientifiques et technologiques au préscolaire et au primaire. Editions Multimondes.
[11] Tavernier, R., & Pierrard, M. A. (2009). Enseigner les sciences expérimentales à l’école élémentaire: physique et technologie. Bordas.
[12] Bédart-Naji, E. (2000). La technologie au cycle 3. « Pratiques de classe ». Retz.
[13] Vérillon, P., Ginestié J., Hostein, B., Lebeaume, J. et Leroux, P. (2005). Produire en technologie à l’école et au collège. Institut National de Recherche Pédagogique.
[14] Coué, A. et Vignes, M. (1995). Découverte de la matière et de la technique. Hachette Education.