Introduction et balises
Dans les activités scientifiques à l’école, les traces occupent une place centrale et sont au cœur de questions d’ordre didactique et épistémologique.
La place des écrits instrumentaux
Malgré leur place centrale en science, les traces restent souvent cantonnées à un rôle de communication ou de mémorisation (Astolfi, Peterfalvi et Vérin, 1998[5]; Plé et Dedieu, 2020[2]). Pourtant, les traces et plus particulièrement les écrits de travail (sous forme de texte et/ou schéma par exemple) peuvent amener l’élève à développer sa pensée. Ainsi, les écrits peuvent amener la construction d’un savoir raisonné s’ils sont employés comme supports à la problématisation et à la construction progressive des modèles explicatifs scientifiques (conceptualisation). En endossant ce rôle, les traces amènent l’élève à mettre à distance l’action pour adopter une posture réflexive amenant questionnement et argumentation, deux fondements des pratiques scientifiques. Ceci peut se mettre en classe dans des pratiques de classe octroyant une place au débat. Cette dimension des traces, plus ambitieuse que celle liée à la communication ou à la mémorisation, est essentielle mais fait aussi écho à l’épistémologie et à la didactique des sciences. Notons que Vérin (1988)[4] distinguait déjà les écrits instrumentaux, accompagnant le raisonnement de l’élève, ses procédures et son action, des écrits d’exposition, prenant la forme de textes finaux exposés.
Ces écrits de la conceptualisation, de la problématisation et de l’activité d’argumentation permettent aux élèves d’accéder à un savoir scientifique telles que décrites par Orange (2012)[3]. Produits par les élèves, ils ne constituent pas un but en soi mais un moyen pour apprendre (Vérin, 1988[4]). Dans une vision transmissive des “cours” de sciences, les écrits prennent souvent la forme de textes formulés par l’enseignant et recopiés par les élèves, qui participent parfois à une certaine forme de reformulation (cf. texte propositionnel ; Orange, 2012[3]), ou encore à des réponses à des exercices. Ce type de texte revient à mettre en avant ce qui est à mémoriser sans mettre en évidence la construction des savoirs scientifiques en jeu et souvent mettre en évidence les liens logiques et arguments explicatifs sous-jacents. Même si l’activité des élèves en sciences ne peut être totalement comparée à celle des chercheurs, les écrits scientifiques de classe tenant compte des pratiques argumentatives et de la problématisation s’ancrent dans la nature de l’activité scientifique et ont l’avantage d’être raisonnés. Bachelard (1938, p.234)[5] disait « l’enseignement des résultats de la science n’a jamais été un enseignement scientifique ». Les écrits devraient donc reprendre les problèmes et leur construction progressive ainsi que les discussions qui les accompagnent. Christian Orange (2012)[3] propose ainsi d’intégrer dans ces traces les éléments de problématisation et notamment les nécessités des phénomènes investigués.
Rôle des traces dans la secondarisation
L’utilisation d’écrits instrumentaux est aussi un moyen de réduire les inégalités socioculturelles. En effet, les élèves les plus fragiles sont souvent ceux qui n’identifient pas à ce qu’ils ont appris à partir de ce qu’ils ont fait (cf. secondarisation) et encore moins le cheminement qui les a conduits à ces apprentissages. Donner à voir les savoirs en construction dans les activités, sous la forme de traces, peut permettre de les y aider. La condition est que les liens entre traces et savoirs soient explicités, matérialisés, verbalisés avec et/ou par l’enseignant selon l’âge des élèves. Sans cette attention, les élèves risquent de rester sur une fonction utilitaire des traces (ex : l’affiche sert à coller les photographies de la séquence vécue, le cahier d’observation à dessiner). Pour permettre à la trace d’être une aide aux apprentissages, l’enseignant peut amener les élèves à identifier les savoirs en jeu puis à les rapporter au domaine/champ disciplinaire correspondant et les tâches qui en sont à l’origine. Ceci participe à la construction progressive de la notion de champ conceptuel chez les élèves qui permet lui d’identifier, de classer et d’organiser les savoirs scolaires, capacité particulièrement sous-développée (voire absente) chez les élèves plus fragiles. Cette capacité à catégoriser peut se développer dès l’école maternelle. Elle ne s’achèvera pas à l’école primaire mais se trouvera facilitée dans le secondaire par le découpage disciplinaire (Villard, 2016[7]).
La page sur les malentendus en sciences peut apporter un complément d’information sur le sujet.
Des difficultés émanant des écrits instrumentaux et médiation de l’enseignant
La production d’un texte de savoir raisonné sous la forme d’écrits argumentatifs n’est pas sans difficultés. Premièrement, il faut souvent mettre par écrit ce qui a émergé des situations de débats/argumentations. Cela demande une appropriation du langage écrit et des codes linguistiques propres à l’écrit scientifique, plus élaborés qu’à l’oral. Ensuite, l’organisation du travail de la classe doit être adaptée. La classe prend la forme d’une communauté qui débat, cherche, discute (Jaubert, 2007[8]). Les écrits ont l’intérêt d’amener une forme de secondarisation mais qui n’est pas toujours évidente (mais pourtant nécessaire) chez de jeunes élèves. Pour des pistes de dispositifs pour amener les élèves à produire des argumentations écrites, nous vous encourageons à lire l’ouvrage de Orange (2012)[3]. La construction d’un texte de savoir problématisé par une classe exige une médiation et un étayage fin de la part de l’enseignant. Ce dernier doit mener les débats scientifiques de classe, amener les élèves à développer leurs capacités à argumenter, nourrir et susciter les interactions mais aussi introduire des textes scientifiques extérieurs pour une confrontation aux argumentations produites par les élèves. Pour en savoir plus, le lecteur est invité à consulter la page consacrée aux débats.
En guise de synthèse
On peut distinguer diverses fonctions en lien avec les traces ou les écrits scientifiques en classe :
- de communication interne ou externe à la classe (école ou familles): donnent à voir ce qui a été appris/fait (rôle expositif);
- de mémorisation : mémoire de ce qu’a vécu la classe ;
- instrumentale : (cf. Vygotski, 1934 ; Plé et Dedieu, 2020[9]) en lien avec construction de la pensée/du raisonnement et de la conceptualisation.
Les deux premiers types se rapportent aux écrits finaux alors que le dernier se rapporte aux écrits de travail décrits plus haut.
Ainsi, il est important de diversifier les productions écrites dans les activités scientifiques de classe et de ne pas se cantonner à des écrits finaux, validés, à visée de mémorisation et/ou de communication mais aussi d’envisager les écrits intermédiaires, provisoires et exploratoires (Catel, 2001[10]), individuels ou collectifs, qui accompagnent l’activité cognitive des élèves et montrent à voir le cheminement de l’apprentissage. Dans une pédagogie plus constructiviste, ils servent ainsi à planifier l’action, à rendre compte des avancées conceptuelles, à développer la réflexivité. Outre ce rôle dans le développement de la pensée, ils donnent accès aux idées et conceptions des élèves permettant à l’enseignant de repérer leurs difficultés ou incompréhensions, de voir leur cheminement de pensée. Les écrits favorisent le développement du langage, notamment parce qu’ils sont supports de prise de parole et qu’ils sollicitent les capacités d’écriture. Ils amènent la socialisation et la capacité d’engagement des élèves. Ils permettent de rendre visibles les apprentissages et jouent un rôle dans les inégalités scolaires. Ces écrits permettent l’accès à un texte de savoir problématisé, raisonné en lien avec le fondement des sciences. Cette facette des traces peut être développée très tôt. A l’école maternelle, les écrits suscitent un début de raisonnement logique et un prise de recul sur les activités cognitives. Les traces, de façon générale, initient les élèves aux codes de l’école, à ses outils et à ses usages. Elles participent au développement de la pensée symbolique.
Le lecteur pourra compléter cette page par celle consacrée aux schémas.
Entrées faciles
A propos de l’exploration du monde à l’école maternelle, Villard (2016)[11] propose un ouvrage très complet à propos des traces (produites et récoltées) pour guider l’action enseignante dans des choix et des pratiques qui donnent du sens aux apprentissages.
Le chapitre 4 de l’ouvrage de Astolfi, Peterfalvi et Vérin (1998)[12] porte sur les schémas et plus largement les écrits ; on y retrouve donc un propos important sur le travail avec les traces.
Laborde[13] propose un outil pratique portant sur les affichages à l’école maternelle. La réflexion didactique portant sur les difficultés rencontrées par les élèves et l’analyse de pistes pratiques permet au lecteur de comprendre l’enjeu de proposer des affichages donnant à voir les savoirs pour accompagner au mieux les élèves dans leur première entrée dans l’écrit.
Le dossier “Les écrits de travail des élèves” paru dans Cahiers pédagogiques (mars-avril 2018)[14] présente différents articles traitant de la place des écrits dans les pratiques scolaires. Le dossier redéfinit ce qu’on entend par travailler par l’écrit. Il questionne notamment l’usage des écrits pour penser les apprentissages ainsi que les rapports entre écrit de travail et oral.
Pour l’enseignement maternel, l’ouvrage “L’enseignement scientifique et technique à l’école maternelle” de Coquidé-Cantor et Giordan (2002) [6] montre le travail qui peut être mené avec les schémas pour connaître les conceptions des élèves et tenter de les faire évoluer. Les traces matérielles comme des objets construits par les élèves ont également une large place dans les démarches présentées dans l’ouvrage.
L’ouvrage “Sciences en classe” de Daro, Graftiau, Stouvenakers et Hindryckx (2011)[15] s’intéresse aux démarches d’investigation, en ce compris les traces, destinées aux élèves de 10 à 14 ans. Le premier chapitre est consacré aux caractéristiques de la démarche. Des exemples de séquences sont ensuite présentés. Les enjeux des traces et de la structuration sont décrits pour chaque étape de la démarche.
Écrits scientifiques
Généralités
Vérin (1988) propose de s’intéresser à la place des écrits dans l’enseignement des sciences. L’article traite des fonctions de ces écrits et de leurs conditions de production.
Dans son article, Catel (2001) dresse le bilan des travaux de recherches en didactique réalisés durant les années nonante concernant la production d’écrits par les élèves dans le cadre de l’enseignement scientifique. L’auteure montre que la recherche s’est développée selon trois facettes : la référence au discours scientifique et à la nature de la science, la diversification des écrits produits en classe et la prise en compte de la composante sociale.
En biologie
Sur le thème de la biotechnologie dans le secondaire, Prain et al. (2001) proposent une recherche sur les stratégies mises en œuvre par des élèves du secondaire de la production d’écrits explicatifs à destination d’élèves plus jeunes et en quoi cette production d’écrits favorise les apprentissages scientifiques.
Sur le sujet de la nutrition du foetus à l’école primaire, Jaubert et Rebière (2001) se sont intéressées aux écrits susceptibles de favoriser les apprentissages conceptuels. Elles discutent des pratiques langagières efficaces dans la construction du savoir et du rôle de l’enseignant dans les reformulations des élèves.
A propos de la nutrition humaine, Orange (2003) analyse une séquence de débat scientifique en classe avec des élèves de CM1-CM2 (9-11 ans) au départ de traces. Le débat se déroule au départ d’affiches. Il est envisagé comme une exploration et une structuration du champ des possibles dans le cadre d’une approche par problématisation.
Dans son article de recherche, Lhoste (2006) s’intéresse à la construction du concept de circulation sanguine dans une démarche incluant un débat au départ d’affiches produites par des élèves de 3e (14-15 ans) autour de la façon dont un organe est approvisionné en énergie et en matière.
La communication de Chalak (2014) se situe dans la cadre théorique de la problématisation. Il traite de la mise en textes de savoirs sur le sujet de la germination des plantes en primaire (9-10 ans). Il s’intéresse particulièrement aux difficultés des élèves et aux procédés didactiques que l’enseignant met en place lors de cette séquence où des débats et des productions d’écrits interviennent.
En physique
Plé et Dedieu (2020) proposent de se pencher sur la question du “pouvoir instrumental” des écrits en classe maternelle. Outre les fonctions de mémorisation et de communication, les traces écrites peuvent aider l’élève à construire sa pensée en l’incitant à réfléchir, à argumenter, à interagir avec les autres. L’article traite de l’usage du tableau de positionnement et du schéma dans une séquence en sur l’exploration de la matière. L’importance de la médiation de l’enseignant pour assurer cette mise en mouvement de la pensée est aussi développée.
Le rôle des écrits dans l’élaboration de la pensée a été exploré par Vérin (1995). L’auteur met en avant l’importance de ces productions et de leur variété dans la mise en jeu des idées des élèves et dans leur transformation. Cette recherche touche plus particulièrement les obstacles à la construction de concepts sur la transformation de la matière à l’école élémentaire.
Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires
S’intéresser aux traces en sciences, c’est par exemple :
- explorer les traces comme supports des conceptions des élèves ;
- s’interroger sur la fonction et la place des traces dans une démarche d’apprentissage ;
- se pencher sur le rôle des traces dans la secondarisation des apprentissages ;
- questionner le rôle de médiation de l’enseignant en lien avec l’utilisation de ces traces avec les élèves ;
- questionner l’image des sciences véhiculée par ces traces ;
- chercher à comprendre comment les différents types de traces (écrites, visuelles, orales) influencent la compréhension des concepts scientifiques ;
- etc.
[1] Astolfi, J.-P., Peterfalvi B., et Vérin, A. (1998). Comment les enfants apprennent les sciences ?. Retz.
[2] Plé, É., & Dedieu, L. (2020). Les «écrits instrumentaux» en éducation scientifique à l’école maternelle: du possible à la mise en œuvre dans les pratiques enseignantes. RDST. Recherches en didactique des sciences et des technologies, (22), 123-149.
[3] Orange, C. (2012). Enseigner les sciences: problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe. De Boeck Pédagogie et Formation.
[4] Vérin, A. (1988). Apprendre à écrire pour apprendre les sciences. Aster. 6, 15-46.
[5] Bachelard, G. (1938). La formation de l’esprit scientifique. Vrin.
[6] Coquidé-Cantor M. et Giordan, A. (2002). L’enseignement scientifique et technique à l’école maternelle. Delagrave édition.
[7] Villard, E. (2016). Les traces pour apprendre. Explorer le monde. Cycle 1. Canopé Éditions.
[8] Jaubert, M.(2007). Langage et construction de connaissances à l’école : Un exemple en sciences. Presses Universitaires de Bordeaux.
[9] Plé, É., & Dedieu, L. (2020). Les «écrits instrumentaux» en éducation scientifique à l’école maternelle: du possible à la mise en œuvre dans les pratiques enseignantes. RDST. Recherches en didactique des sciences et des technologies, (22), 123-149.
[10] Catel, L. (2001). Écrire pour apprendre? Ecrire pour comprendre? Etat de la question. Aster, 33, 17-47.
[11] Villard, E. (2016). Les traces pour apprendre. Explorer le monde. Cycle 1. Canopé Éditions.
[12] Astolfi, J.-P., Peterfalvi B., et Vérin, A. (1998). Comment les enfants apprennent les sciences ?. Retz.
[13] Laborde, M. (2014). Les affichages à l’école maternelle. Collection Doubles pages pour l’école maternelle. Éditions Canopé. Nancy.
[14] Crinon, J. et Eveleigh, H. (dir.). (2018, mars-avril).Les écrits de travail des élèves. Pour penser, apprendre et se construire. Cahiers pédagogiques, 544.
[15] Daro S., Graftiau M-C, Stouvenakers N. & M-N Hindryckx (2011). Sciences en classe, une démarche d’investigation pour donner du sens au cours de sciences entre 10 et 14 ans. Labor Education.