Malentendus en sciences

Introduction et balises

Dès les années soixante, de nombreux sociologues et pédagogues se sont interrogés sur les causes de l’échec scolaire qui touche particulièrement les élèves des milieux populaires (Bourdieu et Passeron, 1964[1] ; Bourdieu et Passeron, 1970[2] ; Bonnery, 2007[3] ; Bautier et Rayou, 2009[4]). La recherche des mécanismes amenant à cet échec scolaire a amené certains chercheurs à questionner le rôle des malentendus d’apprentissage dans ces inégalités scolaires (Bautier et Rochex, 1997 ; Rey, 2011[5] ; Bautier et Goigoux, 2004[6]).

Kahn (2010, chap.4)[7] montre que les conceptions de la différence des élèves, portes d’entrée pour envisager leurs difficultés, sont de trois types :

  • Les conceptions “naturalisantes” de la différence qui consistent à attribuer à l’élève des propriétés intrinsèque expliquant sa différence ;
  • Les conceptions “quantitative” de la différence qui renvoient la différence d’un élève à un écart par rapport à une norme ;
  • Les conceptions “diffraction” de la différence qui envisagent la différence d’un élève comme l’effet d’une relation entre sa culture et celle de l’école.

Ainsi, les conceptions naturalisantes et quantitatives vont plutôt chercher à combler le manque ou à trouver une stratégie compensatoire ; les conceptions “diffraction” vont en revanche travailler au niveau des attentes réciproques élèves/familles – école, s’intéresser au rôle du langage, des supports pédagogiques, des activités didactiques, etc. dans la construction de la difficulté scolaire, notamment pour atténuer ou prévenir la construction des malentendus.

Les malentendus d’apprentissage (ou sociocognitifs) amènent à des situations où les élèves n’apprennent pas (toujours) ce que l’enseignant pense qu’ils apprennent ou ce qu’il veut leur faire apprendre. Les élèves éprouvent des difficultés à décoder les attentes (parfois implicites) de la tâche proposée. Cela a pour conséquence qu’ils n’accèdent pas à la compréhension du savoir et des situations. Les pratiques des enseignants amènent ces malentendus notamment par les dispositifs qu’ils proposent à leurs élèves

Différents auteurs ont proposé une typologie des malentendus à l’école. Goigoux (1998)[8] a ainsi proposé une liste de sept malentendus illustrée avec les pratiques de l’école maternelle. Le mouvement “ChanGements pour l’égalité” propose cette catégorisation intéressante (Jadin et Roosens, 2022[9]):

  • malentendus scolaires : en lien avec les rapports de l’élève à l’école ;
  • malentendus didactiques : en lien avec la visée d’apprentissage ;
  • malentendus langagiers : en lien avec les registres de langue et plus largement la langue de scolarisation (nous vous renvoyons à ce sujet à la page consacrée au langage)
  • malentendus disciplinaires : en lien avec les finalités, contenus et nature des tâches d’une discipline scolaire.

Ces distinctions permettent à l’enseignant de faciliter le repérage des malentendus qui peuvent se glisser dans les situations d’apprentissage qu’ils proposent à leurs élèves et d’adapter leurs pratiques pour, in fine, réduire les inégalités scolaires. Vous trouverez plus d’informations sur ces catégories dans l’ouvrage.

En science, de nombreux malentendus peuvent s’immiscer dans les séquences de classe. L’habillage de la tâche (par exemple quand l’enseignant annonce aux élèves qu’ils vont faire de la magie) est une porte d’entrée encore trop souvent convoquée et qui empêche un certain nombre d’élèves de percevoir l’enjeu réel d’apprentissage (malentendu didactique). Il empêche tout un nombre d’élèves d’accéder au sens second (cf. secondarisation, page à venir). Les caricatures liées à l’enseignement des sciences comme celui du scientifique “savant fou” peuvent aussi faire obstacle à la compréhension des finalités des sciences (malentendu disciplinaire). Des termes scientifiques employés lors des apprentissages mais ayant des significations différentes dans la vie quotidienne rendent parfois difficile leur compréhension par les élèves, notamment ceux dont la langue à la maison est éloignée de la langue de l’école. Or, faire preuve de vigilance vis-à-vis de ces malentendus permettrait à l’enseignant d’amener un maximum d’élèves à entrer dans les apprentissages. Vous trouverez ci-dessous divers ouvrages et articles permettant d’éclairer ce sujet.

En lien avec ce sujet, nous vous conseillons la lecture de la section qui traite des inégalités scolaires ainsi que celle qui touche à la secondarisation (à venir) des apprentissages.

Entrées faciles

Une étude de ChanGement pour l’Égalité (2013) analyse des séquences d’apprentissage dans la cadre de la lutte contre les inégalités scolaires à l’école maternelle. Deux séquences analysées touchent aux sciences (“Les bateaux qui flottent” et “La boite à neige”). Même si la recherche n’a pas été systématique ni exhaustive, elle permet de porter un regard réflexif sur les pratiques enseignantes en lien avec les malentendus.

L’article “Actifs ? Oui mais sans le savoir” de Daro (2021) (revue Traces, 245)  questionne le recours à des approches concrètes qui amènent parfois l’élève à passer à côté de l’apprentissage. Des exemples illustrent le propos.

Dans leur ouvrage, Jadin et Roosens (2022)[10] présentent une recherche-action en lien avec les malentendus d’apprentissage. Après une première partie qui touche à des apports théoriques sur le sens, les rapports au savoir et les malentendus, la seconde propose une description et une analyse détaillées de trois récits de séquences d’apprentissage (en français, en mathématique et en science). La séquence en science traite de la matérialité de l’air. Une troisième partie permet aux auteurs de poser quelques balises pour préparer et mieux cadrer une séquence.

Dans son article paru dans le dossier ”Apprendre dehors” des Cahiers pédagogiques (2021)[11], Connac met en garde contre le risque de malentendus dans les activités très en vogue de l’école du dehors.

Écrits scientifiques

Pour explorer la question des inégalités scolaires en lien avec les malentendus, nous vous renvoyons vers diverses ressources plus généralistes :

  • L’ouvrage de Bautier et Rayou (2009)[12] traite du sujet des inégalités scolaires et des malentendus d’apprentissage en amenant une réflexion sur les processus sociaux qui font que les élèves apprennent ou n’apprennent pas selon les normes scolaires.
  • L’article de Bautier et Goigoux (2004) présente les conceptions, cadres théoriques et méthodes de recherche des travaux du réseau RESEIDA portant sur le processus en jeu dans la production des inégalités d’apprentissage des élèves. Les postures de secondarisation sont évoquées ;
  • L’article de Bautier et Rochex (1997) tente à monter que les inégalités scolaires ne peuvent être mesurées qu’en s’intéressant aux modalités d’apprentissage et aux inégalités d’acquisition cognitives et culturelles ;
  • Les sept malentendus de l’école maternelle définis par Goigoux (2007) ;
  • L’ouvrage de Bonnéry (2007)[13] éclaire la question de l’échec scolaire et notamment pour la tranche d’élèves issus de familles populaires qui ne partagent pas les évidences scolaires.

La recherche de Roy et Marlot (2008) questionne le rôle de l’habillage d’une situation problématisante choisie par l’enseignant en lien avec la caractérisation du vivant. Les auteurs montrent que son influence sur la problématisation et la conceptualisation des apprentissages chez des élèves de 4 à 7 ans, en lien avec les travaux de Bautier et Rochex (2004).

Poffé, Lascher et Hindryckx (2015) présentent, dans leur article, une analyse de supports d’évaluation proposés à des élèves du secondaire (15 à 18 ans) par des étudiants, futurs enseignants et questionnent le contenu de ces supports qui peuvent amener malentendus et inégalités scolaires.

L’article de Delarue-Breton et Bautier (2015) se penche sur la production de significations par les élèves au départ des contenus des manuels scolaires et documents utilisés en classe. Il montre qu’à partir d’un même support (ici un exemple sur l’alimentation), des grandes différences sont observées d’une population scolaire à un autre en terme d’appropriation de ces textes.

La thèse de van Brederode (2016) se penche sur les processus de construction des inégalités scolaires en SVT et, en particulier, sur l’accès difficile pour les élèves aux savoirs scientifiques et leur inégale appréhension par des élèves à cause de malentendus scolaires.

L’article de Perronnet (2019) présente une étude menée sur des élèves, issus de milieux populaires, de la fin du primaire au début du secondaire (9-10 à 12-13 ans) mettant en évidence une éducation scientifique aux traitements différenciés entre les élèves et semée de malentendus scolaires qui limitent les élèves à des compétences et enjeux utilitaires des sciences, à l’origine d’inégalités scolaires.

L’article de Chalak et Briaud (2021) présente une recherche questionnant le rôle des séquences forcées mises en place dans un apprentissage par problématisation sur le sujet de la respiration et de l’approvisionnement du sang en oxygène en primaire dans les malentendus scolaires.

La communication de Briaud (2021) présentée lors des 11e rencontres scientifiques de l’ARDIST est en lien avec les travaux les malentendus et les inégalités d’apprentissage. Dans cette étude, il est question de relier les difficultés que les élèves rencontrent dans des dispositifs didactiques (ici la démarche d’investigation) à des malentendus cognitifs.

Un mémoire de master en sciences de l’éducation (2017) montre que les “habillages” affectif et ludique d’un savoir mathématique engendrent des malentendus auprès des élèves.

Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires

S’intéresser aux malentendus en sciences, c’est par exemple :

  • se questionner sur les types de malentendus qui sont en jeu dans les séquences d’apprentissage scientifiques ;
  • se questionner sur le registre de langue convoqué en sciences, sur son éloignement vis-à-vis du registre de l’élève et les difficultés qui peuvent en découler ;
  • mettre en évidence des points de vigilance lors de la construction de séquences d’apprentissage ;
  • Questionner les représentations des finalités des sciences partagées par les élèves et qui peuvent être éloignées de celles des enseignants ;
  • Envisager des postures enseignantes pendant ses enseignements susceptibles de ne pas accroître les malentendus chez les élèves

Plus largement :

  • S’intéresser au rapport au savoir des élèves en sciences ;
  • Se pencher sur le sens que l’élève donne aux tâches qui lui sont proposées en sciences ;
  • questionner l’échec scolaire en sciences.

[1] Bourdieu, P. et Passeron, J-C. (1964). Les Héritiers. Les étudiants et la culture. Éditions de Minuit.

[2] Bourdieu, P. et Passeron, J-C. (1970). La reproduction. Éléments pour une théorie de l’enseignement. Éditions de Minuit.

[3] Bonnery, S. (2007). Comprendre l’échec scolaire. Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques. La dispute.

[4] Bautier, E. et Rayou, P. (2009). Les inégalités d’apprentissage : programmes, pratiques et malentendus scolaires. PUF.

[5] Rey, B. (2011). Situations et savoirs dans la pratique de classe. Recherche en éducation. 12, 35-49.

[6] Bautier, E. et Goigoux, R. (2004). Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle. Revue française de pédagogie, 148, 89-100.

[7] Kahn, S. (2010). Pédagogie différenciée. De Boeck.

[8] Goigoux, R. (1998). Sept malentendus capitaux. Forum pour l’école maternelle.

[9] Jadin, B. et Roosens, B. (2022). Gare aux malentendus. Déjouer les pièges pour faire apprendre. Changement pour l’égalité.

[10] Jadin, B. et Roosens, B. (2022). Gare aux malentendus. Déjouer les pièges pour faire apprendre. Changement pour l’égalité.

[11] Connac, S. (2021). Les limites de l’école du dehors. Cahiers pédagogiques. Cahiers pédagogiques, 570, 33.

[12] Rayou, P. et Bautier, É. (2009). Les inégalités d’apprentissage: programmes, pratiques et malentendus scolaires. Presses universitaires de France.

[13] Bonnery, S. (2007). Comprendre l’échec scolaire: Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques. La dispute.