Roelants D. et Dahmouche H. (2022). DidacSciences (Hypothèse asbl).
Introduction et balises
L’environnement de l’enfant regorge de matières de nature diverse. Alors que certaines sont perceptibles par l’enfant (ex : l’eau, la terre, le carton), d’autres le sont beaucoup moins (ex : l’air).
La première approche de l’enfant vis-à-vis de la matière est sensorielle (Mettoudi, 2011[1]). Il la touche, la sent, la voit, la goûte, l’entend. Ces rencontres sensorielles sont incontournables. Elles permettent à l’élève de percevoir la variété des matières mais aussi progressivement à s’interroger sur leurs propriétés, à comprendre leur possible changement d’état et d’apparence, à les classer. L’école maternelle permet ainsi de développer des premiers outils intellectuels liés à ces rencontres.
En maternelle, les élèves découvrent l’eau et l’air*, les notions d’état (solide et liquide). Ces matières ont l’avantage de permettre de nombreuses expérimentations en passant de manipulations spontanées à des investigations plus organisées. L’eau et l’air, matières essentielles de notre vie et de notre environnement deviennent objets de questionnement, d’investigations, d’expérimentations, de réflexions. Ils auront aussi l’occasion d’explorer de premiers mélanges.
Les matières auxquelles les enfants sont confrontés ne sont pas toutes considérées de la même façon. Ainsi, celles qui sont moins perceptibles (comme l’air) ne sont pas perçues comme de la matière par les jeunes élèves. La matérialité de l’air constitue ainsi un objectif d’apprentissage important car l’idée que les gaz sont de la matière ne va pas de soi pour ces jeunes élèves (Dahmouche, Daro et Orange, 2021[2]). Ce primat de la perception persistera encore à l’école primaire (Plé, 1997[3]). Pourtant, la matérialité de l’air sera essentielle pour les apprentissages futurs à l’école primaire et secondaire (ex : photosynthèse, pression, ventilation chez les animaux, etc). Pour d’autres matières, comme l’eau, la matérialité est bien perçue mais d’autres difficultés se présentent. Ainsi, Plé (1997)[4] a montré que l’élève de maternelle ne lie pas les différents états de l’eau comme relevant d’une seule et même matière. D’autres matières, comme le sel, ne sont pas envisagées comme pouvant exister sous un autre état que l’état rencontré dans le quotidien (Ravanis, 2014[5]). On se rend ainsi compte de la nécessité de permettre à l’élève d’enrichir son bagage expérientiel en explorant la matière sous toutes ses formes et dans ses transformations afin de permettre à l’élève de conceptualiser la matière.
Des démarches autour de la matière
Dans un premier temps, des activités de manipulation permettent aux élèves d’agir sur la matière et d’en percevoir les caractéristiques. Ce temps d’exploration peut se dérouler sous la forme d’ateliers plus autonomes de familiarisation pratique, essentielle pour élaborer un vécu commun à tous les élèves. Progressivement, d’autres activités seront proposées pour découvrir les caractéristiques de la matière, toujours à travers l’action, afin d’élaborer de premiers concepts liés à la matérialité, aux états et changements d’états. Ce passage de l’action à l’élaboration intellectuelle, plus complexe, est essentielle dès l’école maternelle. En s’appuyant sur des investigations empiriques et en mettant à distance l’action, l’élève sera amené à porter un autre regard sur la matière (Plé et Dedieu, 2020[6]).
Les démarches autour de la matière vont amener l’élève à développer son langage par l’enrichissement du lexique relatif aux noms des matières et aux actions exercées mais également pendant les moments de questionnement, de conceptualisation (voir rôle instrumental, page langage). Les élèves pourront mobiliser ce langage pour verbaliser leurs perceptions, comparer les matières, décrire les transformations.
*Remarque : A l’école maternelle, en plus des matières telles que l’eau et l’air, des matériaux peuvent être explorés (ex : bois, sable, verre, pâte à modeler, laine, tissu, etc). On entend par “matériau” toute matière ayant subi des transformations (découpage, fusion, cuisson, etc) et entrant dans la construction d’un objet. Cette exploration des matériaux se fera aussi dans un premier temps par une approche sensorielle. mais se rapporte plus volontiers à la section à propos de l’étude d’objets techniques (en lien avec la technologie). Elle est en lien avec les contenus de la formation manuelle et technique des nouveaux référentiels.
Entrées faciles
L’ouvrage de Mettoudi (2011)[7] consacre un chapitre sur la découverte de la matière à l’école maternelle. L’auteure y développe les enjeux et l’intérêt d’explorer cette matière avec de jeunes élèves. Des pistes d’explorations sont proposées.
À propos de la découverte de l’eau, Mermier (2005)[8] aborde l’importance de permettre aux élèves de maternelle de se questionner, d’investiguer, d’expérimenter cette matière afin de développer des connaissances et réflexions au fil du temps de plus en plus aiguisées.
Diverses brochures thématiques de l’asbl Hypothèse proposent des pistes pour permettre à l’élève de se poser des questions scientifiques à propos des forces. Les séquences proposées s’accompagnent d’éclairages didactiques et scientifiques :
- La brochure thématique de l’asbl Hypothèse “Les glacières” explore les phénomènes de changement d’état ;
- La brochure “Mélanges et démélanges” touche aux mélanges et aux méthodes de séparation. les notions de miscibilité des substances, de mélanges hétérogènes et homogènes sont convoqués.
À propos de concepts physiques, Hartmann (2006)[9] propose un outil pratique reprenant des activités de classe sur diverses thématiques. Deux chapitres sont notamment consacrés respectivement à l’eau et à l’air. L’intérêt réside notamment dans les éclairages sur les conceptions des élèves de la maternelle au primaire.
L’ouvrage de Thouin (2006)[10] contient de nombreux exemples de problèmes que l’on peut proposer aux élèves de maternelle et primaire. Il s’agit ici d’une approche s’inspirant des recherches récentes en didactique des sciences permettant aux élèves de faire évoluer leurs conceptions par des solutions et/ou approches possiblement différentes, leur permettant ainsi de s’initier à la véritable nature du travail scientifique. Pour l’enseignant, chaque exemple est richement accompagné de suggestions de mises en situation, de repères culturels et historiques, de suggestions d’activités de structuration et d’enrichissement, etc. Le module 1 de l’ouvrage est consacré à la structure de la matière.
Une étude de ChanGement pour l’Égalité (2013) analyse des séquences d’apprentissage dans le cadre d’une réflexion autour de la lutte contre les inégalités scolaires à l’école maternelle. Deux séquences analysées touchent aux sciences (“Les bateaux qui flottent” et “La boite à neige”). Même si la recherche n’a pas été systématique ni exhaustive, elle permet de porter un regard réflexif sur les pratiques enseignantes en lien avec les malentendus.
Dans leur ouvrage, Jadin et Roosens (2022)[11] présentent une recherche-action en lien avec les malentendus d’apprentissage. Après une première partie qui touche à des apports théoriques sur le sujet, la seconde propose une description et une analyse détaillées de trois récits de séquences d’apprentissage (en français, en mathématique et en science). La séquence en science traite de la matérialité de l’air. Une troisième partie permet aux auteurs de poser quelques balises pour préparer et mieux cadrer une séquence.
Le consortium 4 du Pacte a rédigé un guide raisonné (Dahmouche, Daro et Orange, 2021) sur la notion de gaz (matérialité, propriétés, changement d’état, etc.). Après avoir présenté brièvement les enjeux autour de ce concept, des exemples sont discutés et des points de vigilance sont proposés. Le rôle de l’enseignant est également précisé.
Le document d’accompagnement des programmes français à propos de la découverte du monde des objets, de la matière et du vivant (Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Direction de l’enseignement scolaire, 2002) propose, dans son introduction, des balises méthodologiques et didactiques pour l’enseignant. Celles-ci s’accompagnent d’exemples de séquences de classe.
La page “modélisation” peut constituer un complément intéressant.
Écrits scientifiques
L’analyse de Bisault et Rebiffé dans le hors-série de Carrefour de l’éducation (avril 2011) traite du rôle des interactions langagières dans une séquence de découverte de l’air au départ d’un ballon de baudruche. Cet objet du quotidien est employé par l’enseignant pour appréhender la notion d’air; le ballon jouant un rôle d’intermédiaire pour matérialiser la présence de cette matière. Dans cette analyse, les auteurs mettent en évidence le rôle primordial que joue le langage dans la construction d’un premier modèle explicatif des phénomènes et concepts scientifiques. La médiation par l’enseignant et l’habillage de cette tâche d’investigation sont aussi abordés.
Chauvet-Chanoine (2020) propose une typologie des séquences d’exploration du monde des objets et de la matière. Plusieurs modalités et visées sont possibles pour penser une éducation scientifique et technique autour de la matière.
Plé et Dedieu (2020) propose de se pencher sur la question du “pouvoir instrumental” des écrits en classe maternelle à partir de deux séquences autour de la matière : sur l’écoulement de l’eau (“Qu’est-ce qui fait couler l’eau de la rivière ?”) et sur la matérialité de l’air (actions du vent sur les objets). Les auteures mettent en avant le rôle d’outils comme le tableau de positionnement et le schéma pour amener les élèves à construire une première représentation du monde.
La recherche de Chavet-Chanoine (2019) a une double visée. Tout d’abord, l’auteur s’attache à mieux caractériser les pratiques de classe dans l’exploration du monde des objets et de la matière en établissant une typologie de ces pratiques. Ensuite, elle propose la construction d’un curriculum d’éducation scientifique tenant compte à la fois, de la professionnalité des enseignants et du jeune âge des enfants.
Dans son article, Peterfalvi (1997) montre des pistes pour identifier les obstacles rencontrés par les élèves. Le domaine d’exemplification concerne la matière, au sens large. L’article d’Astolfi et Peterfalvi (1997) est bon complément.
L’article de Ravanis (2017) interroge les représentations des élèves grecs de 5 à 14 ans à propos de la fusion et la solidification du sel.
Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires
S’intéresser à la matière avec des élèves de maternel, c’est par exemple :
- questionner les obstacles à l’apprentissage présents chez les tout petits ;
- s’interroger sur la façon d’amener l’élève à comprendre certaines propriétés de la matière ;
- questionner la façon d’amener les jeunes élèves à construire les premiers concepts en lien avec la matérialité de l’air ;
- explorer la place de l’expérimentation comme premier bagage pour découvrir certaines propriétés de la matière ;
- etc.
[1] Mettoudi, C. (2011). Comment enseigner en… maternelle: la découverte du monde: un véritable accompagnement pédagogique. Hachette éducation. p. 48.
[2] Dahmouche, Daro et Orange (2021). Le guide raisonné des nœuds didactiques. Noeux : les gaz. Consortium 4 : mathématiques, sciences, géographie.
[3] Plé, E. (1997). Transformation de la matière à l’école élémentaire: des dispositifs flexibles pour franchir les obstacles. Aster: Recherches en didactique des sciences expérimentales, 24(1), 203-229.
[4] Plé, E. (1997). Transformation de la matière à l’école élémentaire: des dispositifs flexibles pour franchir les obstacles. Aster: Recherches en didactique des sciences expérimentales, 24(1), 203-229.
[5] Ravanis, K. (2014). Les représentations des enfants de 5-6 ans sur la fusion et la solidification du sel, comme support pour le déploiement des activités didactiques. International Journal of Research in Education Methodology, 6(3), 943-947.
[6] Plé, É., & Dedieu, L. (2020). Les «écrits instrumentaux» en éducation scientifique à l’école maternelle: du possible à la mise en œuvre dans les pratiques enseignantes. RDST. Recherches en didactique des sciences et des technologies, (22), 123-149.
[7] Mettoudi, C. (2011). Comment enseigner en… maternelle: la découverte du monde: un véritable accompagnement pédagogique. Hachette éducation. p. 46-54.
[8] Mermier, C. (2005). A la découverte de l’eau. Dans Ferrand, M.-F. (Dir), Chercheurs en herbe (pp.28-31). CRDP Lyon.
[9] Hartmann, M. (2006). La physique est un jeu d’enfant. Editions Le Pommier.
[10] Thouin, M. (2006). Résoudre des problèmes scientifiques et technologiques au préscolaire et au primaire. Editions Multimondes.
[11] Jadin, B. et Roosens, B. (2022). Gare aux malentendus. Déjouer les pièges pour faire apprendre. ChanGement pour l’Egalité.