Introduction et balises
Les filles mais également les jeunes issus des milieux populaires ou de familles immigrées font face (à large échelle) à une inégalité d’accès aux sciences et d’orientation dans l’enseignement. À ces inégalités d’accès et d’orientation, s’ajoutent parfois des inégalités de réussite et donc des inégalités dans les trajectoires sociales.
Les travaux de recherche dans les domaines de la sociologie ou des sciences de l’éducation ont établi que ces inégalités scolaires sont le produit de rapports différents, construits, des élèves vis-à-vis des sciences. Les élèves ont ainsi des représentations de la science (et des scientifiques), une confiance en leurs capacités et un niveau d’identification aux sciences variables. Comme cela semble faire l’unanimité aujourd’hui (Collet, 2006[1] ; Vidal, 2015[2]), ces différences ne sont en aucun cas imputables à des profils plus ou moins aptes à comprendre les sciences ou à des prétendus cerveaux plutôt masculins ou féminins. D’après Bautier & Rayou (2009)[3], les difficultés rencontrées par les élèves les plus faibles ne sont pas uniquement dues au milieu dont sont issus ces élèves ou à des perturbations socio-affectives et/ou motivationnelles. Elles trouvent aussi leur origine dans les situations d’apprentissage, dans les rapports entretenus par chacun avec la culture scolaire.
Même si les représentations excluantes des sciences sont aussi transmises par le biais des loisirs et de la culture (Détrez et Piluso, 2014[4] ; Perronnet, 2018[5]), elles s’élaborent de façon importante à l’école car les élèves y côtoient de façon régulière les contenus scientifiques. L’école reste ainsi le lieu privilégié où s’élaborent ces rapports différenciés aux sciences (Perronnet, 2019[6]). Certains auteurs se sont intéressés à ce qui détermine ces représentations “excluantes” des sciences à l’école et ont montré qu’elles naissent à la fois de l’image qu’ont les enseignants (mais aussi les familles) mais aussi des traitements différenciés qu’ils appliquent en classe avec leurs élèves.
En lien avec ce sujet, nous vous conseillons la lecture de la section qui traite des malentendus.
Entrées faciles
L’ouvrage d’Alaluf et al. (2003)[7] présente les résultats d’une enquête cherchant à déterminer les choix qu’opèrent les filles en matière d’orientation scolaire et la posture qu’elles adoptent à l’égard des sciences et des techniques. L’enquête s’intéresse à l’entrée à l’université mais plusieurs chapitres posent des balises théoriques sur les relations entre femme et métier, famille et écoles, école et filles motivations d’orientation, etc.
Un podcast de Milgram de savoirs (réalisation de la faculté de psychologie de l’ULB) intitulé “Inégalités de représentation de genre dans les STEM” par Annique Smeding porte sur les stéréotypes implicites dans les études qui ne correspondent pas au choix de carrière conforme aux stéréotypes de genre.
Les podcasts de Maternelle dégenrée (Questionner les stéréotypes de genre dès l’école maternelle) proposent des contenus généralistes qui questionnent la place des stéréotypes de genre à l’école maternelle sous la forme d’interviews de professionnel.le.s (enseignants, sociologues, philosophes, auteurices, etc).
Plusieurs ouvrages fournissent des exemples bien documentés de la contribution des femmes dans les sciences ce qui est susceptible de permettre l’identification à ces figures :
- Curieuses histoires des dames de la science, de Jean C. Baudet (2010). L’ouvrage présente une quarantaine de figures réparties sur toutes les époques.
- Les oubliés de la science, de Camille Van Belle (2022). Les 48 figures présentées ne sont pas uniquement féminines mais elles sont suffisamment nombreuses pour en faire un ouvrage intéressant à utiliser.
- L’astronomie au féminin, de Yaël Nazé (2006 et nouvelle édition en 2022 sous le titre Femmes Astronomes).
Écrits scientifiques
Généralités
Pour explorer la question des inégalités scolaires, nous vous renvoyons vers diverses ressources généralistes :
- L’ouvrage de Bautier et Rayou (2009)[8] traite du sujet des inégalités scolaires et des malentendus d’apprentissage en amenant une réflexion sur les processus sociaux qui font que les élèves apprennent ou n’apprennent pas selon les normes scolaires.
- L’article de Bautier et Goigoux (2004) présente les conceptions, cadres théoriques et méthodes de recherche des travaux du réseau RESEIDA portant sur le processus en jeu dans la production des inégalités d’apprentissage des élèves ;
- L’article de Bautier et Rochex (1997) tente à monter que les inégalités scolaires ne peuvent être mesurées qu’en s’intéressant aux modalités d’apprentissage et aux inégalités d’acquisition cognitives et culturelles ;
- L’ouvrage de Duru-Bellat (1990)[9] s’intéresse à la différenciation sexuelle des carrières scolaires au sein de l’école et de la famille et propose une analyse des comportements des filles vis-à-vis des stéréotypes.
- L’ouvrage de Bonnéry (2007)[10] éclaire la question de l’échec scolaire et notamment pour la tranche d’élèves issus de familles populaires qui ne partagent pas les évidences scolaires.
En lien avec l’enseignement des sciences :
La thèse de Schnyder (2014) étudie sur l’intérêt des filles et des garçons aux sciences chez des élèves de 8 à 10 ans et questionne les mécanismes en jeu.
Poffé, Lascher et Hindryckx (2015) présentent, dans leur article, une analyse de supports d’évaluation proposés à des élèves du secondaire (15 à 18 ans) par des étudiants, futurs enseignants et questionnent le rôle de ces supports dans les inégalités scolaires.
L’article de Delarue-Breton et Bautier (2015) se penche sur la production de significations par les élèves au départ des contenus des manuels scolaires et documents utilisés en classe. Il montre qu’à partir d’un même support (ici un exemple sur l’alimentation), des grandes différences sont observées d’une population scolaire à un autre en terme d’appropriation de ces textes.
L’article de Détrez et Perronnet (2017) présente les résultats d’un projet de deux années visant à faire évoluer les choix stéréotypés d’orientation en lien avec le genre et l’origine sociale d’élèves de primaire et de secondaire. L’enquête menée en lien avec ce projet traite des représentations qu’ont les élèves des sciences.
L’article de Perronnet (2017) a pour objectif de décrire le lien entre représentations enfantines des sciences et les mises en images des métiers scientifiques au sein des supports culturels tels que les manuels, ouvrages, émissions, jeux, etc.
La thèse de van Brederode (2016) se penche sur les processus de construction des inégalités scolaires en SVT et, en particulier, sur l’accès difficile pour les élèves aux savoirs scientifiques et leur inégale appréhension par des élèves à cause de malentendus scolaires.
Dans son article, Perronnet (2018) interroge la construction de représentations différenciées des sciences chez des enfants de milieux populaires de 9-10 à 12-13 ans. L’auteure analyse le rôle des contenus culturels scientifiques (en lien avec la littérature, le cinéma, la musique, les arts plastiques) dans l’élaboration de ces représentations.
Les inégalités peuvent être la conséquence de nombreux autres processus. Par exemple, en Belgique francophone, la fréquentation de l’établissement expliquait 42,4 % de la performance au test PISA en sciences en 2015 (Lafontaine, Crépin et Quittre, 2017) ; elle est même de 50% en Flandre. De plus, au sein d’un même établissement, les autrices montrent que la variance expliquée par l’origine socioéconomique y est alors de 57,6 %.
L’article de Breda et al. (2018) présente une étude visant à comprendre la sous-représentation des filles dans les filières et métiers scientifiques. Elle tente d’objectiver les facteurs invoqués dans l’explication des choix d’orientation liés au genre que sont la confiance en soi, les normes sociales et les stéréotypes de genre.
La thèse de Perronnet (2018) étudie la façon dont se construisent les pratiques et représentations des sciences des enfants des milieux populaires et des filles et, en particulier, le rôle que jouent les structures de socialisation culturelle (famille, pairs, école) et la culture scientifique dans cette construction.
L’article de Perronnet (2019) questionne la manière dont les institutions scolaires façonnent des rapports différenciés aux sciences conduisant à l’exclusion de certains élèves. Il présente une étude menée sur des élèves, issus de milieux populaires, de la fin du primaire au début du secondaire (9-10 à 12-13 ans) mettant en évidence une éducation scientifique aux traitements différenciés et semée de malentendus qui reproduisent les inégalités face aux sciences.
La note de synthèse (en langue anglaise) de Ceci, Ginther, Kahn et Williams (2014) donne de nombreux éléments sur la différenciation des apprentissages selon le genre puis de la carrière scientifique des femmes. L’article de Wang et Degol (2017) synthétise également une partie de la littérature (US) et énonce des recommandations.
Un mémoire de master en sciences de l’éducation (2017) montre que les « habillages » affectif et ludique d’un savoir mathématique engendrent des malentendus auprès des élèves.
Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires
Explorer la question des inégalités scolaires en sciences, c’est par exemple :
- interroger sur les préjugés liés à la question du genre en lien avec l’enseignement des sciences présents au niveau des enseignants, des manuels ou encore des curriculums ;
- questionner les stéréotypes de genre/l’image des sciences véhiculés dans les supports/manuels scolaires ou dans des enseignements donnés ;
- se demander comment les stéréotypes de genre affectent l’apprentissage des sciences chez les filles et les garçons au primaire/secondaire ;
- identifier les obstacles socioculturels qui entravent l’apprentissage des sciences chez les élèves issus de milieux défavorisés ;
- s’interroger sur des démarches/des dispositifs qui permettent de faire évoluer les représentations des sciences ;
- s’interroger sur les pratiques de classe différenciées en fonction des profils d’élèves ;
- questionner l’image des sciences véhiculées par les objets culturels ;
- s’interroger sur la perception de ces inégalités par ceux qui les vivent ;
- identifier les obstacles spécifiques rencontrés par les élèves allophones dans l’apprentissage des sciences ;
- identifier les stratégies efficaces pour encourager les filles à s’engager dans les matières scientifiques et les carrières STEM ;
- décrire la façon dont les ressources disponibles pour l’enseignement des sciences varient entre les écoles urbaines et rurales et comment dépasser ces différences ;
- etc.
[1] Collet, I. (2006). L’informatique a-t-elle un sexe ? L’Harmattan.
[2] Vidal, C. (2015). Nos cerveaux, tous pareils, tous différents ! Belin.
[3] Rayou, P. et Bautier, É. (2009). Les inégalités d’apprentissage: programmes, pratiques et malentendus scolaires. Presses universitaires de France.
[4] Détrez, C. et Piluso, C. (2014), « La culture scientifique, une culture au masculin », in S. Octobre (dir.), Questions de genre, questions de culture, Paris, DEPS-ministère de la Culture et de la Communication, p. 27-51.
[5] Perronnet, C. (2018). “Les sciences, c’est (pas) pour moi”: genre, culture scientifique et construction de représentations différenciées des sciences chez les enfants de milieux populaires. Transverse, 37-54.
[6] Perronnet, C. (2019). À qui profitent les sciences?. Emulations-Revue de Sciences Sociales, 29, 137-153.
[7] Alaluf, M., Imatouchan, N., Marage, P., Pahaut, S., Sanvura, R., Valkeneers, A., & Vanheerswynghels, A. (2003). Les filles face aux études scientifiques: réussite scolaire et inégalités d’orientation. Editions de l’Université de Bruxelles.
[8] Rayou, P. et Bautier, É. (2009). Les inégalités d’apprentissage: programmes, pratiques et malentendus scolaires. Presses universitaires de France.
[9] Duru-Bellat, M. (1990). L’école des filles: quelle formation pour quels rôles sociaux?. Paris: l’Harmattan.
[10] Bonnery, S. (2007). Comprendre l’échec scolaire: Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques. La dispute.