Introduction et balises
L’idée de procéder par investigation dans la classe de sciences vise à engager les élèves dans une démarche scientifique et à pratiquer les sciences. Il s’agit par-là de doter les élèves d’une certaine idée de ce que sont les sciences, outre la fonction d’engagement des élèves dans une séquence.
Sur l’enjeu de l’image des sciences, le lecteur pourra consulter la page « Philosophie, épistémologie et image des sciences »
Cependant, les réflexions didactiques sont nombreuses sur cette investigation. Par exemple, la méthode « OHERIC », méthode promue jusqu’à peu, était critiquée car elle considérait que toute démarche commence par l’observation, soi-disant neutre et insérée dans une démarche linéaire, ce qui ne rend pas bien compte du travail réel des scientifiques.
De même, l’idée de travailler par problème en classe de sciences répond à la volonté de rompre avec une idée naïve du travail des scientifiques selon laquelle les savoirs scientifiques seraient élaborés à partir de constats produits spontanément. Or, il n’en est rien puisque le savoir scientifique est produit à la suite d’un problème scientifique construit au sein d’une communauté de chercheurs. Ainsi, le « sens du problème » dans la construction du savoir scientifique est un point central de l’épistémologie des sciences :
« L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » (Bachelard 1938, p. 14)[1]
Les problèmes sont donc constitutifs du savoir : « pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question » (1938, p. 14). Mais il faut comprendre que tous les problèmes ne sont pas du même ordre. Les problèmes sont pleinement scientifiques lorsqu’ils visent une rupture avec la pensée commune.
D’un point de vue didactique, la démarche d’investigation et/ou par problème en classe de sciences vise également à rompre avec un certain dogmatisme lorsque le savoir scientifique est présenté comme « vrai » sans en montrer les raisons aux élèves, ou alors que le savoir scientifique est présenté sous la forme d’énoncés désincarnés[2], hors du problème qui a fondé ce savoir scientifique. Il s’agit alors maintenant de montrer en quoi ce savoir est une réponse à un problème (ou un ensemble de problèmes) qui se sont posés aux scientifiques durant l’histoire.
Précisons encore en quoi tous les problèmes ne sont pas de même nature. Par exemple, la classe peut s’engager sur dans un problème fonctionnel (Astolfi et al., 2008, chap. 16), c’est-à-dire à partir d’une question pragmatique plutôt spontanée et à partir de laquelle l’enseignant cherchera à intégrer des apprentissages scientifiques. Mais dans le cadre de l’apprentissage par problématisation, ce n’est pas vers ce genre de problèmes que nous irons. Dans ce cadre, il s’agit d’articuler le registre des modèles (les idées explicatives imaginées sur le monde) et le registre empirique (les faits) pour, non pas répondre à un problème, mais le construire. Il s’agit là alors de partir d’un fait observé surprenant, d’une incertitude, d’une contradiction, un problème pragmatique, une première question spontanée, etc., bref d’un besoin d’investigation, pour explorer les possibles, éliminer certaines pistes, en préciser d’autres, etc. afin d’aboutir à une question qui sera alors le véritable problème à investiguer. Ainsi, le cadre de l’apprentissage par problématisation ne considère pas que tous les problèmes sont du même ordre ; il convient de les travailler afin de construire le problème. L’exemple est donné ci-dessous à partir d’un débat mené en primaire sur la nutrition, le point de départ étant « Manger sert à donner des forces » :
Donc contrairement aux autres épistémologies du problème en éducation (scientifique), le cadre de l’apprentissage par problématisation place en son sein la construction du problème.
Enfin, les fonctions de l’investigation et du problème peuvent être aussi d’ordre didactique. Il s’agit alors de mettre au travail les conceptions des élèves sur un problème explicatif afin qu’ils se rendent compte des limites éventuelles de celles-ci et qu’ils puissent élaborer de nouvelles. Une telle mise au travail ne peut pas se limiter à un simple énoncé oral des avis de chacun, ce qui est parfois appelé « prise de représentation » ; il faudra alors un travail langagier important, notamment par avec les traces.
Entrées faciles
Sur le thème du développement animal et de la classification des espèces, Bruguière et Triquet (2014)[3] proposent, dans la première partie de leur ouvrage, une réflexion sur l’utilisation d’albums de fiction pour problématiser en biologie à l’école élémentaire (primaire). Des situations de classe sont analysées et des éclairages scientifiques mais également didactiques (notamment sur la problématisation) sont présentés à partir de deux albums : “Un poisson est un poisson” de Léo Lionni (1981) et “La promesse” de Jeanne Willis et Tony Ross (2003).
L’ouvrage de Thouin (2006)[4] contient de nombreux exemples de problèmes que l’on peut proposer aux élèves de résoudre en classe. Il s’agit ici d’une approche s’inspirant des recherches récentes en didactique des sciences permettant aux élèves de faire évoluer leurs conceptions par des solutions et/ou approches possiblement différentes, leur permettant ainsi de s’initier à la véritable nature du travail scientifique. Pour l’enseignant, chaque exemple est richement accompagné de suggestions de mises en situation, de repères culturels et historiques, de suggestions d’activités de structuration et d’enrichissement, etc.
Le « Précis de didactique des SVT pour enseigner au collège et au lycée » de Schneeberger, Orange, Orange-Ravachol et Lhoste (2021) est un ouvrage qui permet une bonne réflexion générale sur le statut du problème et les investigations scientifiques dans l’enseignement scientifique secondaire.
Des actes d’un colloque (2018) « Des problématiques pour les classes de sciences. Où est le prof-blème ? » portant sur les problèmes en sciences présentent des réflexions intéressantes sur ceux-ci pour la physique et la biologie et des applications dans le contexte belge francophone.
Écrits scientifiques
Notre plateforme DidacSciences incorpore dans l’ensemble de ses pages des écrits relatifs à l’investigation, au problème et/ou à la problématisation. Nous présentons donc ci-dessous une sélection. Le lecteur intéressé est invité à parcourir les autres pages.
De manière générale, les écrits de Christian Orange permettent d’entrer dans le cadre de la problématisation, principalement pour la biologie :
- L’ouvrage « Enseigner les sciences » (2012) est un ouvrage synthétique et très accessible pour entrer dans ce cadre d’apprentissage.
- À propos de la nutrition humaine, Orange (2003) analyse une séquence de débat scientifique en classe avec des élèves de CM1-CM2 (9-11 ans). La séquence est organisée dans la classe autour des questions suivantes : “À quoi ça sert de manger ?” reformulée ensuite en “Comment ce que j’ai mangé peut-il me donner des forces ?”. Son ouvrage “Enseigner les sciences” (2012) développe encore largement les analyses de cas sur la nutrition humaine.
- Orange (2005) retrace les grandes étapes de recherches menées sur la problématisation. Il tente d’expliciter ce qu’est la problématisation scientifique et présente trois exemples dont un touchant au traitement d’un problème lié aux relations entre la nutrition et la “force” des différentes parties du corps à l’école primaire.
L’article de Chalak et Briaud (2021) présente une recherche questionnant le rôle des séquences forcées mises en place dans un apprentissage par problématisation sur le sujet de la respiration et de l’approvisionnement du sang en oxygène en primaire dans les malentendus scolaires.
L’article de Lhoste et al. (2011) présente une étude de cas sur le thème de la nutrition à la fois dans une classe de CM1-CM2 (9-11 ans) et dans une classe de 3e (14-15 ans). Les auteurs s’intéressent en particulier à l’entrée dans le processus de problématisation par l’intermédiaire de récits produits par les élèves.
La recherche de Lhoste (2015) traite du débat scientifique en classe sur le thème de la nutrition et son rôle dans la construction d’un savoir scientifique par problématisation. Dans l’article, l’auteur s’intéresse à la façon dont les élèves construisent les problèmes en sciences, en particulier ici sur la digestion et l’absorption intestinale dans la nutrition humaine.
Lhoste et Peterfalvi (2009) cherchent à identifier les relations entre problématisation, problèmes et obstacles en lien avec les transformations de matière dans la nutrition et l’assimilation à différents niveaux de scolarité successifs (fin de primaire et début du secondaire).
Dans son article de recherche, Lhoste (2006) s’intéresse à la construction du concept de circulation sanguine dans une démarche avec des élèves de 14-15 ans incluant deux approches : problématisation et argumentation.
Garcia-Debanc, Laurent et Galaup (2009) étudient les écrits transitoires des élèves de primaire (cycle 3, France) dans le cadre d’une démarche d’investigation sur la digestion et les nutriments puis d’un travail sur les relations entre les fonctions de digestion, respiration et circulation.
Dans l’article de Ménart et Pineau (2006) s’intéresse aux registres explicatifs et significations mobilisés par des élèves de 8-10 ans à propos de la respiration humaine. Les auteurs montrent le développement de la problématisation par l’intermédiaire de débats et montrent les relations entre registre explicatif et signification du concept de respiration dans l’histoire des sciences.
La recherche de Pelé et Crépin-Obert (2022) s’inscrit dans le cadre de la problématisation et s’intéresse à l’accompagnement proposé par un enseignant à partir d’outils didactiques basés sur l’histoire des sciences dans le cadre d’une séquence sur la circulation sanguine avec des élèves de la fin du primaire (cycle 4, France).
Sauvageot-Skibine (1993) propose de s’intéresser aux conceptions des élèves de 11-12 ans qui font obstacle à la construction des concepts de milieu intérieur et de surface d’échanges et qui sont fréquentes au collège et à l’âge adulte. L’auteure met en évidence la persistance de la représentation “communication par tuyaux” notamment dans la nutrition des plantes et propose la piste d’une situation-problème pour franchir cet obstacle.
La thèse de Beuve (2017) cherche à comprendre la manière dont les élèves sont amenés à s’engager dans la construction de savoirs scientifiques dans la cadre d’une investigation scientifique et en particulier le rôle des interventions de l’enseignant dans la problématisation. Deux dispositifs sont mis en place et étudiés au sein d’une classe d’élèves de 9-10 ans (CM1-CM2, France) : l’un sur la nutrition végétale, l’autre sur la reproduction végétale.
La recherche de Rouquet (2022) s’intéresse aux conditions de l’accès aux savoirs de la nutrition des plantes par des élèves de fin de secondaire (terminale scientifique, France). Elle postule l’intérêt du débat précédé d’un travail écrit argumentatif pour construire des savoirs scientifiques raisonnés et pour dépasser les obstacles. Elle s’inscrit ainsi dans le cadre théorique de la problématisation.
À propos de la fonction de nutrition humaine, Pautal (2015) présente une recherche portant sur une séquence d’investigation construite avec des élèves de CM2 (10-12 ans) autour du problème scientifique : “Pourquoi le cœur bat-il plus vite quand on court ?”. L’auteure montre notamment que les élèves construisent des savoirs biologiques explicatifs, ancrés dans une vision systémique de la nutrition, tout en développant des pratiques scientifiques.
La recherche de Roy et Marlot (2008) questionne le rôle de l’habillage d’une situation problématisante choisie par l’enseignant en lien avec la caractérisation du vivant. Les auteurs montrent que son influence sur la problématisation et la conceptualisation des apprentissages chez des élèves de 4 à 7 ans, en lien avec les travaux de Bautier et Rochex (2004).
L’article de Bruyère et Triquet (2012) questionne l’usage des albums de fiction réaliste comme levier pour un travail de problématisation du réel en sciences à l’école primaire autour de la notion d’espèce. Les auteurs y présentent des situations testées en classe ainsi que des pistes pour exploiter les énoncés “problématiques” constitutifs de ces fictions.
L’ouvrage « Le cadre de l’apprentissage par problématisation » (Doussot, Hersant, Lhoste et Orange Ravachol, dir., 2022) est une synthèse très à jour du cadre en question. Les chapitres portent sur une variété de disciplines, dont celles des sciences de la nature.
Sur l’investigation, les problèmes en physique et en chimie et la formation des enseignants à l’enseignement par problème, deux ouvrages sont susceptibles d’intéresser le lecteur :
- Boilevin, J.-M. (2013). Rénovation de l’enseignement des sciences physiques et formation des enseignants. De Boeck.
- Villeret, O. (2021). Formation à la démarche d’investigation en physique chimie. L’Harmattan.
Trois articles d’Astolfi et Peterfalvi (1993 et 1997) et/ou de Peterfalvi (1997) portent sur un enseignement des sciences se donnant pour objectif le dépassement des obstacles via les problèmes.
De manière plus large, l’ouvrage de Fabre (1999) « Situations-problèmes et savoir scolaire » traite des ambiguïtés dans le concept de situation-problème souvent convoqué pour les séquences de sciences.
Pistes de réflexion pour les TFE et mémoires
S’intéresser à l’investigation et au problème en classe de sciences, c’est par exemple :
- s’intéresser aux démarches à mettre en place pour que les élèves apprennent, au moins en partie de leur propre chef ;
- s’intéresser aux problèmes à soumettre aux élèves, ou à construire avec eux, afin qu’ils apprennent des savoirs scientifiques et que ces problèmes soient épistémologiquement consistants ;
- questionner les conditions d’avancée des élèves dans l’investigation scientifique ou dans la problématisation ;
- interroger fonctions des problèmes en sciences ;
- dégager les intérêts et inconvénients d’une approche par investigation ;
- questionner la perception que les enseignants ont de l’enseignement par investigation et la mise en place dans leurs classes ;
- s’interroger sur la façon d’évaluer efficacement les compétences acquises par les élèves à travers l’enseignement par investigation ;
- etc.
[1] Bachelard, G. (1938). La formation de l’esprit scientifique. Vrin.
[2] « l’enseignement des résultats de la science n’est jamais un enseignement scientifique » (Bachelard, 1938, p. 264)
[3] Bruguière, C. et Triquet, E. (Dir.). (2014). Sciences et albums. Cycles 2-3. Canopé Editions.
[4] Thouin, M. (2006). Résoudre des problèmes scientifiques et technologiques au préscolaire et au primaire. Editions Multimondes.